Dans un texte paru en 2000, la chercheuse Joanna McGrenere traitait des logiciels dits « boursoufflés » (en anglais : bloated) et de l’attitude commanditant leur croissance excessive, le « fonctionnalitarisme envahissant » (creeping featurism).
Il y a eu un intérêt récent dans la presse et dans le monde de l’informatique à propos de ce qui a été qualifié de « boursoufflé » ou de « boursouffliciel » et de « fonctionnalitarisme envahissant ». Le terme « boursoufflé » existe depuis un bon moment dans la communauté technique ; on a défini le gonflement comme le résultat de l’ajout de nouvelles fonctionnalités à un logiciel ou à un système, au point où les bénéfices proposés par les nouvelles fonctionnalités sont annulés par l’impact sur les ressources techniques (par exemple : mémoire vive, espace de disque, performance du processeur) et sur la complexité d’utilisation. Le fonctionnalitarisme envahissant tend à compliquer un système en y ajoutant des fonctionnalités de manière ad hoc et non systématique.
L’exemple paradigmatique étudié par McGrenere est le logiciel de traitement de texte Microsoft Word. Les utilisateurs disposent d’une myriade de boutons et de fonctionnalités, mais une fraction seulement est utilisée (et cette fraction varie d’un·e utilisateur·trice à l’autre).
Wendy Hui Kyong Chun souligne justement l’absurdité que consiste à prévoir ou à planifier tous les usages possibles d’un logiciel :
La folie que consistant à prescrire et à anticiper chaque désir de l’utilisateur produit une montagne massive de fonctionnalités, si bien que les actions futures de l’utilisateur ne pourront pas être complètement déterminées d’avance : plus un programme comporte de fonctionnalités, plus il y a de possibilités que l’utilisateur agisse de manière imprévisible.
Une telle imprévisibilité de la part de l’utilisateur accroît la complexité et l’entropie globales d’un système.
On peut se demander si une interface à boutons, conative d’actions et de pratiques irréfléchies quant à la relation fond-forme (voire sémantique et symbolique), comme celle de Microsoft Word, produit une pensée souhaitable. Il ne s’agit pas de dire que les interfaces visuelles sont bonnes ou mauvaises, mais qu’elles représentent un locus potentiel pour le débat et l’interprétation, car elles participent de la fabrique du sens.