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Qu’est-ce qu’un programme?

À l’origine, un programme est un substantif pour désigner une inscription particulière, programma, littéralement «ce qui est écrit à l’avance», d’où «ordre du jour, inscription», dérivé de prographein «écrire auparavant, en-tête de; afficher, placarder» (cela peut aussi être une notice publique, un édit affiché).

Un programme est fabriqué en vue d’une intention, intention initialement prospective (annonçant le détail d’un événement, un déroulement musical, un plan architectural), ensuite technique (instructions fournies à une machine, à un automate), mais qui peut être aussi (et à la fois) artistique (par exemple: Donald Knuth, qui invite à pratiquer la «programmation lettrée»; Lev Manovich, dans ses «analytiques culturelles» (Cultural Analytics), intègre des démarches culturelles aux méthodes quantitatives).

Le terme «programme» est plurivoque, selon le contexte:

Le mot a développé des emplois didactiques en art, économie, architecture et musique avec le sens de base, «ensemble de conditions à remplir, de contraintes à respecter»1.

Parmi ses nombreuses acceptions, un programme désigne d’abord une inscription, un artéfact scriptural (de la première définition qu’en donne le dictionnaire de l’Académie française: «feuillet, livre, affiche»2). Puisqu’il s’agit d’une inscription, c’est donc un objet matériel, un «artéfact» car produit d’une activité humaine particulière (donc marqué d’une intention) et comportant d’éventuelles imperfections (accidents ou imprévus rencontrés lors d’une expérience) – telle est la double signification du terme «artéfact»3.

Un artéfact est nécessairement programmatique: il énonce une intention du fait de son inscription (toute inscription étant pourvue, par définition, d’une intention4); il répond à un besoin; il manifeste une expression; il rend une pensée opératoire, exécutable.

Cette inscription peut prendre plusieurs formes matérielles: placard publicitaire, cahier énonçant les intentions d’un projet politique, instructions fournies à une machine (comme les cartes perforées qui servaient de «support à programmes»5).

Bref, un programme est un artéfact; et du fait de son caractère scriptural (ou «inscriptionnel»), c’est un objet intentionnel.

Pourquoi lire les programmes?

Les programmes sont des objets à lire, des inscriptions à interpréter, des artéfacts à analyser.

On peut chercher à reconnaître les programmes intégrés à même les objets, à reconstruire les intentions dont ils sont la matérialisation (qu’il s’agisse de la forme d’une chaise, du design d’un bâtiment ou de la procédure d’un algorithme informatique), mais aussi à faire émerger d’autres programmes possibles, c’est-à-dire à révéler leur dimension «artéfactuelle», susceptible de produire des effets non prédéterminés (comme la photographie chez Walter Benjamin). Les logiques du détournement apparaissent importantes dans un monde conditionné par des «programmes» en tous genres (économiques, politiques, biologiques, mais aussi algorithmiques en contexte d’informatique ubiquitaire), caractérisés par une réduction rationalisée des avenirs possibles. Lire le monde, c’est aussi lire les programmes (objets, discours, intentions, écritures) qui le façonnent.


  1. Programme: la note historique est tirée d’Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, sixième édition / édition ultime., vol. 3, Paris, Le Robert, 2022. ↩︎

  2. Feuillet, livre, affiche: d’après le Dictionnaire de l’Académie française, tome 3, 9e édition, 1992. ↩︎

  3. Artéfact: cette idée me parvient d’Antoine Fauchié, entretien personnel du 30 mars 2023. ↩︎

  4. Inscription et intention: Bruno Bachimont note que les inscriptions sont à la fois des objets matériels et intentionnels. «Concrètes par leur matérialité façonnée par la technique, abstraites par les interprétations dont elles font l’objet et en vue desquelles elles sont réalisées, les inscriptions sont des objets culturels et intentionnels dans la mesure où elles n’existent pas pour leurs propriétés physiques (énergie, force, structure matérielle), mais pour l’interprétation dont elles pourront faire l’objet et qui permettra de transmettre ou de retrouver un contenu de pensée ou une connaissance.» (Bruno Bachimont, Ingénierie des connaissances et des contenus, 2007, p. 43) ↩︎

  5. Cartes perforées: d’autres systèmes de programmation, implémentés bien avant l’électronique dans des métiers à tisser dès le XVIIIe siècle et ensuite pour des machines à calculer au siècle suivant, employaient des systèmes de cartes ou de rubans perforés, ce que documente Robert Ligonnière dans Préhistoire et histoire des ordinateurs : des origines du calcul aux premiers calculateurs électroniques, Paris, Robert Laffont, 1987. ↩︎