Qu’est-ce que cette procéduracie1 dont parlait la processeure2 de lettres Annette Vee?
La procéduracie, qui est le terme que j’utilise pour désigner la litéracie associée à la programmation informatique, est la capacité de décomposer des processus complexes en procédures plus petites et de les exprimer de manière suffisamment explicite pour qu’elles puissent être lues par un ordinateur.
La procéduracie, beaucoup plus qu’une compétence de «codage» (écrire en utilisant le vocabulaire des machines), relèverait surtout de la modélisation, d’une série de processus mentaux par lesquels on parvient à comprendre le fonctionnement d’un système logiciel – ses différentes composantes, les étapes d’un traitement algorithmique, ses couches d’interaction.
L’importance de la procéduracie ne saurait être sous-estimée, bien qu’elle soit souvent évacuée sous le couvert de prétextes disciplinaires (c’est-à-dire le fait de confier l’écriture des logiciels aux seuls programmeurs et autres professionnels de l’informatique). Sauf que le code est devenu beaucoup trop important pour être laissé aux seuls informaticiens. Le numérique est devenu transversal dans la vie en société, car «infrastructurel»:
Je note que le code informatique est devenu une infrastructure de la société occidentale, de la même manière que le texte l’était au Moyen Âge; une couche de code informatique sous-tend la plupart de nos communications et activités quotidiennes. Parce que le code informatique est si central à une grande partie de nos activités, la litéracie qui lui est associée est une litéracie qui compte, une litéracie qui est à la fois infrastructurelle et puissante.
Citant le professeur Michael Mateas, Vee rappelle l’absurdité analogue que représente la délégation de la maîtrise de la langue à un corps de métier particulier:
On peut soutenir que la litéracie procédurale est une compétence fondamentale pour tous, requise pour participer pleinement dans la société contemporaine; penser que seuls les programmeurs (des gens qui en font leur métier) devraient être procéduralement lettrés, revient à penser que seuls les auteurs publiés devraient apprendre à lire et à écrire.
Plus que d’apprendre à «coder», ce que signifie «litéracie» dans le contexte d’une société largement informatisée implique surtout de comprendre certains mécanismes généraux qui aideront les citoyen·ne·s non seulement à «fonctionner», mais à s’y retrouver pour pouvoir développer une pensée computationnelle et prendre des décisions éclairées, de plein gré, plutôt que de se rabattre sur des choix «par défaut».
Se retrouver en béate contemplation devant des solutions «simples» mais qui désarçonnent par leur opacité (et par la difficulté à s’en dispenser par la suite), voilà une réalité que doit combattre l’éducation populaire au numérique – dont la notion de procéduracie est une perspective possible.
Quelques questions de litéracie numérique
- Comment un ordinateur se connecte-t-il à Internet et parvient-il à résoudre une adresse?
- Qu’est-ce qu’une URL? Comment la lire?
- Par quels moyens deux appareils peuvent-ils s’échanger un fichier, comme une image, un texte ou une vidéo? Quels intermédiaires sont impliqués, où se situent-ils, et est-il possible de s’en passer?
- De quelle manière «se nourrit» une intelligence artificielle? Par quels patrons la reconnaître? Quels usages éclairés peut-on en faire?
- Qu’est-ce qu’un chiffrement cryptographique, et comment permet-il de sécuriser un échange ou de valider l’intégrité d’un artéfact numérique?
- Quelle est la différence entre un protocole, un format et un langage de programmation?
- Comment trier des données? Comment en faire une modélisation?
- Peut-on avoir accès au code source d’un logiciel? Quelles valeurs sont embarquées?
- Etc.
Litéracie procédurale: Le concept a été précédemment énoncé par le chercheur Michael Mateas dans son article Procedural Literacy: Educating the New Media Practitioner (2005). ↩︎
Processeure: Il s’agit d’un lapsus initialement involontaire – Annette Vee étant plutôt, et bien sûr, professeure de lettres – mais tellement savoureux que j’ai choisi de le conserver. ↩︎