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Journal

Dans une conférence prononcée en 2005 Design and Democracy, le designer-chercheur Gui Bonsiepe déplore le manque criant de préoccupations éthiques et politiques dans la pratique du design. Il s’alarme du fait qu’une génération de designers s’affaire d’abord et avant tout à traiter d’esthétique:

On peut observer la croissance d’une génération de designers qui se concentre obsessivement sur les aspects symboliques des produits […].

Gui Bonsiepe, Design and Democracy, 2005

Ce qui est particulièrement intéressant dans ce texte, c’est la teneur politique que sous-tend la question de l’esthétique, dont le design s’occupe tant (mais pas uniquement):

Les apparences nous mènent aux problèmes de l’esthétique – un concept ambivalent. D’une part, l’esthétique relève du domaine de la liberté, du jeu – et nous ne sommes libres que lorsque nous jouons, selon certains auteurs; d’autre part, l’esthétique ouvre la voie à la manipulation, l’accroissement des comportements induits de l’extérieur. Lorsque nous concevons des produits et des artéfacts sémiotiques nous voulons séduire, c’est-à-dire susciter une prédisposition positive – ou, selon le contexte, négative – envers une combinaison entre un produit et un signe. Dépendamment des intentions, le design penche plutôt vers un pôle ou l’autre, davantage vers l’autonomie ou davantage vers l’hétéronomie.

Gui Bonsiepe, Design and Democracy, 2005

Donner aux citoyens les moyens de s’émanciper (leur conférer un gain d’autonomie par des solutions utiles et agréables mais non aliénantes) ou les réduire à des situations de dépendance (une hétéronomie interposée via des produits, messages, interfaces qui contraignent ou à tout le moins conditionnent leurs comportements), ainsi est tiraillé le design.

Balayée pendant longtemps par les institutions et les disciplines classiques, le design comme discipline du projet (et non comme simple exercice de style) doit être investi de toute urgence par les disciplines critiques et culturelles (notamment les humanités1).


  1. De même, on peut s’étonner (ou pas) de l’appropriation de l’humanisme («design centré sur l’humain») dans le discours de l’industrie – une rhétorique devant laquelle rester sceptique. ↩︎