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Journal

Dans La guerre du faux (1985), recueil d’essais publiés sous forme de chroniques pendant une décennie, Umberto Eco fait la critique des mass-médias à travers ces mêmes mass-médias (les journaux). Son regard sur le déplacement du pouvoir est si éloquent qu’il mérite d’être recontextualisé aujourd’hui:

Nous avons une correspondance assez parfaite entre deux époques [le Moyen Âge et aujourd’hui] qui, suivant des modalités différentes, essaient de combler par la communication visuelle le fossé qui sépare la culture savante de la culture populaire, en même couverture idéologique d’un projet paternaliste de direction des consciences. Dans les deux cas, il s’agit d’époques où l’élite choisie raisonne à partir de textes écrits et avec une mentalité alphabétisée, tout en traduisant par la suite en images les données essentielles du savoir et les structures portantes de l’idéologie dominante.

Umberto Eco, 1985, pp. 111-112

C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui avec les grands seigneurs féodaux d’Internet (Google, Facebook): maîtriser un savoir «lettré» (le code informatique, les langages machines, les données massives, les neurosciences cognitives) et le traduire «visuellement» (en interfaces graphiques, simples et intuitives, faciles à utiliser, voire addictives) pour étendre leur pouvoir économique (en témoigne l’adhésion de milliards d’usagers et d’usagères).

Plus que jamais, il faudrait se demander qui sont les «intellectuels» du 21e siècle, et si ce ne sont justement pas ceux qui maîtrisent la litéracie du code.