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Journal

Dans un billet présentant un extrait de son récent essai Apocalypse cognitive, le sociologue Gérald Bronner aborde les problèmes de l’attention en contexte d’infobésité sans précédent:

Il se trouve que l’effet cocktail1 est une bonne illustration pour décrire les enjeux relatifs au trésor le plus précieux du monde. En effet, l’attraction qu’exercent les écrans sur notre disponibilité mentale ne doit pas faire oublier que ces outils ne sont que des intermédiaires entre nous et le marché cognitif. Ils nous permettent d’accéder avec plus de facilité et de flexibilité à une offre devenue pléthorique.

Gérald Bronner, 2021

Attraction (attentionnelle), disponibilité (mentale), marché (cognitif), offre (pléthorique): l’attention est abordée directement par la lunette économique. L’attention est une ressource de grande valeur (un «trésor»), mais certaines entreprises sont parvenues, dans le brouhaha de nos existences quotidiennes, à en accaparer une part importante grâce à des systèmes et interfaces qui incitent les usagers à y «dépenser» davantage de temps. Les modèles économiques tirant parti du temps d’attention des utilisateurs se chiffrent en milliards de profits publicitaires, au détriment éventuel des autonomies individuelles:

[Q]u’est-ce qui va retenir notre attention? Quelles sont les propositions qui vont capter notre précieux temps de cerveau disponible? Quels sont les produits cognitifs qui auront un avantage concurrentiel sur ce marché de l’information devenu métastasé?

Gérald Bronner, 2021

  1. Gérald Bronner rapporte à propos de l’effet cocktail: «nous sommes capables d’avoir une conversation intelligible car malgré ce brouhaha, nous parvenons à sélectionner et comprendre les paroles de notre interlocuteur. […] Ce faisant, nous avons l’impression que nous sommes entièrement absorbés par nos échanges. Pourtant, à quelques mètres de là, une personne que nous ne connaissons pas prononce notre prénom et voilà que sa voix surgit clairement du brouhaha. Quelque chose dans notre cerveau nous a averti qu’une information dans cet amas confus de phonèmes méritait d’être traitée consciemment. Cet effet, que l’on nomme l’effet cocktail, a été étudié pour la première fois en 1953 par Colin Cherry, un spécialiste de la cognition de l’Imperial College de Londres.» ↩︎