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Hume explique les passions de haine et de bienveillance, en contraposition l’une avec l’autre1.

Une impression forte, quand elle se communique, donne aux passions une double tendance qui est reliée à la bienveillance et à l’amour par une similitude de direction, quelque pénible qu’ait pu être la première impression. Une impression faible qui est pénible se rattache à la colère et à la haine par la ressemblance des sensations. Par conséquent, la bienveillance naît d’un grand degré de misère ou d’un degré avec lequel on sympathise fortement; la haine ou le mépris, d’un faible degré de misère ou d’un degré avec lequel on sympathise fortement; c’est le principe que je voulais prouver et expliquer.

David Hume, Traité de la nature humaine, livre II, partie II, section IX

Ce principe, Hume l’explique non seulement avec les voies de la raison (tenez, les rationalistes), mais aussi avec les voies de l’expérience:

Nous ne disposons pas seulement de notre raison pour garantir ce principe; nous avons aussi l’expérience. Un certain degré de pauvreté produit le mépris; mais un degré supplémentaire est cause de compassion et de bienveillance. Nous pouvons faire peu de cas d’un paysan ou d’un serviteur; mais quand, chez un mendiant, la misère devient effrayante ou qu’elle nous est peinte en couleurs très vives, nous sympathisons avec lui dans son affliction et sentons distinctement quelques accès de pitié et de bienveillance nous gagner le cœur.

David Hume, Traité de la nature humaine, livre II, partie II, section IX

Le chleuasme

Cet argument est amusant puisqu’il commence avec la forme d’un chleuasme, consistant à s’autodéprécier pour mieux se faire apprécier. Hume est un empiriste réputé, c’est l’expérience qui fonde la base de son système philosophique. Il feint cependant de reléguer celle-ci au second plan, au profit d’un argument rationnel, ce que les tenants du rationalisme (lesquels prêchent toute-puissance ou à tout le moins supériorité philosophique de la raison) devraient lui accorder. L’expérience confirmera la conclusion rationnelle.

La pitié

La haine et la bienveillance s’expliquent (notamment) par le biais de la pitié. Puisque l’importance d’une chose dépend toujours de sa relation avec soi, on ressentira soit de la bienveillance si le sentiment de pitié est fort (forte connexion avec soi), soit du mépris si le sentiment de pitié est faible (faible connexion avec soi).

Encore une question de seuil, ce qui implique qu’il y aurait une sorte de point de virage où les passions suscitées par la pitié s’inversent. Quel est ce seuil encore? Hume reste extrêmement silencieux sur ce point, se contentant toujours d’exposer des pôles qui confirment (ou étendent) son système.


  1. Hume s’exprime souvent en dualités, comme si tout sentiment devait nécessairement s’opposer à un autre. Ce dualisme structurel est suspect et potentiellement critiquable↩︎