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Mais je demande alors si la suppression d’un dessein est susceptible de supprimer entièrement les passions de l’amour et de la haine. L’expérience, j’en suis sûr, nous indique le contraire; et rien n’est plus certain que, souvent, des hommes entrent dans une violente colère pour des préjudices dont ils doivent pourtant reconnaître eux-mêmes qu’ils leur sont portés involontairement et accidentellement. Cette émotion, il est vrai, ne peut pas durer bien longtemps; elle suffit toutefois à manifester qu’il existe une connexion naturelle entre malaise et colère et que la relation des impressions agira sur une très faible relation d’idées. Mais une fois que la violence de l’impression est un peu retombée, le défaut de la relation commence à se faire mieux sentir; et comme le caractère de la personne n’est pas impliqué dans des torts qui me sont portés fortuitement et involontairement, il est rare que nous entretenions à son encontre, et pour de telles raisons, une inimitié durable.

David Hume, Traité de la nature humaine, livre II, partie II, section III

Hume procède par déduction: que se passe-t-il si on supprime l’intention de la cause de la passion?

On l’a vu, les êtres humains cherchent sans cesse à rationaliser leurs sentiments (même si ceux-ci échappent à leur volonté), à culpabiliser autrui pour leurs passions malheureuses (même celles qui sont «accidentelles» et «involontaires»).

Supprimer l’intention revient à supprimer la mortification dans le premier cas, la vanité dans l’autre; ce qui, de toute évidence, doit causer une appréciable diminution dans les passions de l’amour et de la haine.

Peut-on blâmer l’enfant qui fait du mal par ignorance, par manque d’expérience? Une fois l’événement passé, on cessera peu à peu de lui en vouloir. Ce n’est que lorsque les êtres humains agissent par pure méchanceté, avec une réelle intention malicieuse, que la haine envers autrui pourra se perpétuer; autrement, elle finira par s’estomper.