Aller au contenu
Journal

Pour accroître l’autorité de ces expérimentations, faisons varier la conjoncture autant que possible et mettons les passions et les objets dans toutes les positions qu’ils sont susceptibles de prendre. Supposons, outre les relations mentionnées ci-dessus, que la personne qui m’accompagne dans toutes ces expérimentations soit en connexion étroite avec moi, par les liens du sang ou ceux de l’amitié. Il s’agira, par hypothèse, de mon fils, de mon frère ou d’une ancienne connaissance. Supposons ensuite que la cause de cette passion acquière une double relation d’impressions et d’idées avec cette personne et voyons les effets qui résultent de cet ensemble complexe d’attractions et de relations.

[…] Il est évident que, selon le caractère plaisant ou déplaisant de l’impression, la passion d’amour ou de haine doit se produire à l’égard d’une personne reliée à la cause de l’impression par les doubles relations que je n’ai eu cesse de requérir. La vertu d’un frère me porte nécessairement à l’aimer; comme son vice ou son infamie suscite nécessairement la passion contraire.

David Hume, Traité de la nature humaine, livre II, partie II, section II

Un objet ou une personne qui suscite une impression de double relation (du moi à l’autre et de l’autre à moi) suscite donc nécessairement une passion – l’une des quatre passions du système de Hume, soit l’orgueil, l’humilité, l’amour et la haine. Hume le montre plus loin, lorsque la chaîne de cette double relation se brise, la passion disparaît, même si les deux objets continuent d’exister.

La personne est, selon mon hypothèse, en relation d’idées avec moi-même; la passion dont elle est l’objet, par son agrément ou son désagrément, est en relation d’impressions avec l’orgueil ou l’humilité. Il est donc évident que l’une ou l’autre de ces passions doit naître de l’amour ou de la haine.

Hume l’a déjà montré: les passions s’engendrent par similitude ou ressemblance, et la transition s’effectue aisément entre les quatre passions fondamentales. Ces passions ne surviennent que lorsqu’il y a une situation de double relation, lorsque la personne ou l’objet a une quelconque connexion avec le moi – surtout si cette connexion est intime, comme un proche parent ou une connaissance affectueuse.

Hume, par principe de raison suffisante, se satisfait de son raisonnement par la conclusion partielle de cette expérimentation:

Rien ne cause plus de vanité qu’une qualité brillante d’un de nos parents; et rien ne nous mortifie davantage que son vice ou son infamie. Cette conformité exacte de l’expérience avec notre raisonnement est une preuve convaincante de la solidité de l’hypothèse sur laquelle nous raisonnons.

David Hume, Traité de la nature humaine, livre II, partie II, section II

Le passage de l’amour à la haine, des passions aussi fortes que contraires, est étonnamment trivial dans le système de Hume. On retiendra donc que les passions peuvent être particulièrement labiles1, selon que l’on se trouve face à une qualité agréable, une vertu, ou un défaut pénible, un vice.


  1. Labiles: elles changent facilement. ↩︎