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La figure d’auteur demeure encore aujourd’hui un grand mythe. Homère, l’un des plus fameux «auteurs» de l’antiquité, n’aurait probablement jamais existé, et l’Illiade aurait plutôt été écrite par plusieurs individus différents, tous inconnus.

Même si Roland Barthes a signé la mort de l’auteur en 1968, celle-ci ne semble (paradoxalement) n’avoir jamais été aussi vivante. Il n’est d’œuvre sans qu’on la rattache à son auteur – le plus souvent, une figure unique: un écrivain, une réalisatrice, un chef d’entreprise.

Tourné vers l’étude du graphisme, Michael Rock pose la question suivante: les graphistes (et les designers) sont-ils des auteurs, eux aussi?

Pourtant, même si les théories de l’autorat sont susceptibles de changer la façon dont nous accomplissons notre travail, pour le spectateur comme pour la critique la préoccupation première n’est pas «Qui a fait cela?», mais plutôt «À quoi cela sert-il» et «Comment cela fonctionne-t-il?».

(Michael Rock, 1996)

Plus que jamais, la société contemporaine est un mélange hautement hétérogène, autant sur le plan historique – nous sommes le produit d’une culture extrêmement complexe dont nous n’inventons plus rien – que technique – il n’y a pas de livre sans l’expertise d’une équipe éditoriale; il n’y a pas de film sans l’argent et la coordination de plusieurs dizaines, voire centaines d’«acteurs»; il n’y a pas de multinationale sans le travail hautement coordonné de milliers d’employés.

Ne serait-il pas temps d’effacer une bonne fois pour toutes le nom de l’«auteur» mythique – dont l’expression individuelle paraît insignifiante vis-à-vis des enjeux globaux – pour concentrer son attention sur des projets à vocation collective – dont la liste de crédits sera de toute façon toujours incomplète?